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Jour du climat : en Région bruxelloise, des mesures positives mais insuffisantes et contradictoires.

Intervention prononcée le 2 juin 2023 lors d'une Commission plénière du Parlement bruxellois consacrée au « jour du climat » et portant sur l'examen du premier rapport préliminaire du comité d’experts climat.

Notre pays commence seulement à subir les premiers effets du dérèglement climatique. Les épisodes météorologiques extrêmes vont se succéder, et il faut s’attendre à un bilan humain, environnemental et financier très lourd. En tant que parlementaires, cette réalité impose que nous prenions conscience de l’importance de l’exercice que nous sommes amenés à réaliser aujourd’hui. Nous tenons aujourd’hui le premier jour du climat, tel que prévu par l’ordonnance climat que nous avons adoptée il y a tout juste 2 ans.

Je pense que le contenu de ce premier rapport du comité d’experts nous prouve à quel point il était utile de prévoir cet outil dans le COBRACE, via cette ordonnance.

Il faut saluer la pertinence des analyses fournies dans ce document. Les idées et les propositions sortent du cadre des politiques habituellement menées et ont le grand mérite de faire un lien nécessaire entre, d’une part, les données scientifiques sur le climat et, d’autre part, l’action politique qui s’impose pour répondre à l’urgence. Donc je tenais tout d’abord à féliciter les auteurs de ce rapport. J’apprécie aussi la clarté des propositions formulées et des analyses fournies, qui permettent une compréhension aisée et accessible à tous.

La réponse politique aux enjeux climatiques doit fondamentalement porter sur deux volets, qui composent les deux faces d’une même pièce. Le premier correspond au déploiement de moyens d’action pour limiter au maximum le réchauffement du climat. Le deuxième est la constitution de notre résilience face aux dérèglements qui sont déjà inévitables.

Notre résilience est particulièrement cruciale si nous voulons que notre ville-région reste habitable, étant donné l’effet d’îlot de chaleur urbain qui peut élever les températures jusqu’à 8°C au-delà de celles de l’environnement rural à proximité, comme l’indique le rapport. Les causes de cet îlot de chaleur sont connues et également mentionnées. Il s’agit :

  1. de la géométrie des bâtiments

  2. des systèmes de chauffage liés à l’activité humaine

  3. des matériaux utilisés pour les routes et les bâtiments qui retiennent la chaleur et l’imperméabilité des sols

  4. du manque de points d’eau (type lac, rivière etc)

  5. et du manque de végétation.

Vu que ces causes d’îlot de chaleur sont identifiées si clairement, on pourrait s’attendre à ce que les pouvoirs publics agissent en conséquence. Pourtant, on a souvent l’impression que les réponses apportées par le gouvernement à ces problèmes sont celles d’une poule sans tête.

Si certaines politiques sont effectivement mises en place à cet égard, d’autres actions du Gouvernement sont totalement délétères pour notre résilience et vont clairement à l’encontre des objectifs climatiques. En ce sens, ces actions s’opposent également au principe d'innocuité imposé par l’ordonnance climat, selon lequel « aucune mesure prise par les pouvoirs publics régionaux ne peut porter atteinte aux objectifs climatiques à moyen et long terme ». Je pense entre autres à l’ordonnance 5G récemment adoptée dans notre Région, qui, on le sait, va entraîner une hausse des émissions de gaz à effet de serre. Monsieur Blondeau a également rappelé la nécessité de décarboner la chaleur, qui est essentiellement produite à partir de gaz naturel. Mais je pense aussi surtout à tous les grands projets d’aménagement du territoire qui ont notamment pour effet d’imperméabiliser des sols naturels et d’amplifier notre empreinte carbone par le recours massif au béton.

Je vais encore revenir uniquement sur certains points du rapport que je trouve particulièrement intéressants et terminer sur un élément qui, je pense, pourrait faire l’objet d’une analyse plus poussée, ainsi que de recommandations dans les futurs rapports.

Concernant les espaces verts, le rapport explique que nous gagnerions à réaliser, grâce aux outils satellites et aériens, une évaluation annuelle et historique de leur évolution dans notre Région, dans le but de protéger et d’augmenter ces espaces de nature. Et effectivement, la seule donnée que nous possédons actuellement, sauf erreur de ma part, est le résultat d’une étude réalisée par l’Université d’Amsterdam sur la couverture végétale bruxelloise. Celle-ci nous indique qu’entre 2003 et 2016, la Région aurait perdu 14,4 % de ses espaces verts, soit 11 km2. Le Conseil de l’Environnement indique dans son avis que des cartographies sur base satellitaires ont été faites par Bruxelles environnement mais que ce travail était « compliqué, et que le résultat était peu réaliste et incohérent avec le terrain ». Je pense pourtant qu’il serait crucial de posséder des cartographies précises et régulières. J’aimerais savoir si le gouvernement peut fournir plus d’explications à ce sujet et communiquer ses éventuelles intentions.

Toujours concernant ces espaces de nature, le rapport met l’accent sur la nécessité de mettre en place des espaces de natures réensauvagés, qui seraient des réserves naturelles inaccessibles au grand public. Je trouve cela extrêmement pertinent et je ne comprends pas que cela ne soit pas le cas en Région bruxelloise. La Région a tendance à voir ces zones de nature sauvage comme des terrains vierges, inhabités, inutiles pour lesquels il convient de trouver une affectation. Or, ces espaces sont déjà habités et remplissent déjà des fonctions écologiques et écosystémiques primordiales en matière de résilience, qu’il convient de protéger impérativement.

Concernant l’imperméabilité des sols, comme le rapport le rappelle, une étude du bassin de la Senne, comprenant Bruxelles, nous indique qu’en 1955, seuls 18 % de la superficie était imperméable. En 2006, le taux d'imperméabilisation était de 37 %. Vu cette évolution et les politiques qui ont continué d’être menées dans la Région depuis 2006, je serais curieuse de connaître le taux que nous connaissons en 2023, et je pense qu’on peut craindre le pire. Malheureusement, il semble que nous manquions de données actualisées et spécifiques à la Région. Je pense que c’est une lacune à laquelle le gouvernement devrait également répondre.

Le rapport note qu’il est nécessaire d’inverser les dynamiques d’imperméabilisation des sols bruxellois. Derrière l’imperméabilisation des sols opérée par le Gouvernement, on sait qu’il y a la volonté de créer plus de logements. Son argument est qu’il s’agirait de la meilleure manière de le faire.

Or, le rapport développe très bien la possibilité pour la Région de densifier de manière intelligente la ville, ce qui permettrait d’éviter l’utilisation de terres non artificialisées, et donc la diminution de la biodiversité et de notre résilience. Certains partis de la majorité ont souvent tendance à opposer, d’une part, le besoin en logement et, d’autre part, les impératifs de protection de l’environnement. Et même à donner un ordre d’importance entre ces deux intérêts. Le rapport démontre bien que le problème ne se pose pas en ces termes-là. Je cite :

« La Région doit limiter au maximum les projets de constructions dans les espaces ouverts. Bruxelles peut parfaitement densifier et verdir en même temps, notamment en densifiant les parcelles déjà construites, en rénovant les batîments réutilisables, en effectuant des changements d’affectation de batîments de bureaux vides en logements ou en remplaçant les batîments non réutilisables par des batîments avec une hauteur plus grande et une empreinte au sol plus réduite, laissant ainsi de la place à davantage d’espaces ouverts ».

Le document cite notamment les sites Wiels et Josaphat, et il me semble clair que ce qui est pointé du doigt donne raison aux comités de riverains et aux associations qui s’évertuent à soumettre au gouvernement des solutions alternatives, qui concilient logement et préservation de la nature.

Enfin, dans la partie biodiversité, le rapport reprend un schéma illustrant la biomasse des mammifères terrestres. On y voit que les mammifères d’élevage représentent 63 % de cette biomasse, loin devant les humains, et très loin devant la biomasse des mammifères sauvages, qui ne représentent que 2 %. Ces chiffres vertigineux ne donnent même pas une image exacte de la réalité de l’élevage puisque les poules, poulets et poissons ne sont pas comptabilisés.

Je sais que ce rapport n’a pas vocation à être exhaustif, mais je suis toujours étonnée du peu d’intérêt qui est porté à la question de la consommation de produits d’origine animale dans la lutte contre le dérèglement climatique, compte tenu de toutes les données désormais disponibles à ce sujet. En Europe, la majorité des céréales cultivées servent non pas à l’alimentation humaine directe, mais à nourrir les animaux d’élevage, et d’ailleurs principalement les poules et poulets. Cela laisse imaginer l’impact de l’élevage en termes d’utilisation des terres et des ressources. On sait que ce secteur est responsable à lui seul de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de la majeure partie de la déforestation de l’Amazonie, notamment pour faire pousser des végétaux qui servent à nourrir les animaux en Europe.

Bruxelles a un rôle important à jouer à cet égard. Grâce à l’outil de mesure récemment développé par Bruxelles Environnement pour calculer notre empreinte carbone globale, nous savons maintenant que les émissions indirectes de gaz à effet de serre de la Région, c’est-à-dire la pollution engendrée par les biens que nous importons et consommons dans la Région, sont 8 à 10 fois supérieures à nos émissions directes.

Or, ces émissions indirectes sont bien sûr notamment causées par la consommation d’animaux. Le rapport n’aborde pas cette question de façon explicite mais il me semble qu’une action visant la réduction de la production et de la consommation de produits d’origine animale constitue un levier que nous devons nécessairement actionner pour freiner le dérèglement climatique, ce qui éviterait par ailleurs beaucoup de souffrance animale et améliorerait la santé publique.

Dans le rapport, ces émissions indirectes sont désignées sous le Scope 3. Il souligne qu’il est urgent de définir clairement des objectifs précis et les moyens de réduire ces émissions. Je ne peux que soutenir cette demande et je ne manquerai pas de revenir sur cette question en commission environnement.

Donc en conclusion, je remercie les experts pour ce rapport. Ils ont bien expliqué qu’il s’agit d’un premier cadre méthodologique pour permettre une évaluation plus substantielle des politiques publiques à l’avenir, mais je trouve qu’il fournit beaucoup d’éléments très tangibles à l’égard de l’action menée à Bruxelles. Alors que certains voudraient mettre sur pause les normes environnementales, il me semble urgent qu’on se rende compte au contraire qu’il faut maintenant passer à la vitesse supérieure. Le plus grand danger que courent tous les secteurs de production, mais aussi les citoyens, ce n’est pas les défis que représentent ces normes, mais justement les catastrophes qui engendrent l'inaction environnementale et climatique.

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