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Le budget 2021 de la Région bruxelloise sous la loupe

Intervention prononcée le 17 décembre 2020 dans le cadre des discussions budgétaires du Parlement bruxellois.

 

Durant ces longues discussions, on a logiquement parlé de gros chiffres, des 6,5 milliards que composent le budget de la Région, de son déficit abyssal et des recettes en baisse. On a aussi parlé d’emploi, de solidarité, d’investissements, de plan de relance, pour faire face aux conséquences de la pandémie. Mais si je me réjouis des efforts budgétaires consentis par le gouvernement pour tenter d’éviter que les plus vulnérables ne soient encore plus plongés dans la précarité à cause de la crise, je pense qu’on devrait tout autant parler des causes de la crise.


Le 29 octobre dernier, le quotidien français Le Monde publiait un article intitulé « Prévenir les pandémies plutôt que les guérir serait cent fois moins coûteux ». On pouvait y lire les résultats d’un rapport mené par la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, qui travaille sous l’égide de l’ONU.


Je pense que personne aujourd’hui ne sera surpris de lire les conclusions de ce rapport. Ses auteurs rappellent par exemple que « les mêmes activités humaines qui sont à l'origine du changement climatique et de la perte de biodiversité entraînent également le risque de pandémie.» Il s’agit évidemment de facteurs tels que l’utilisation des terres, de l’expansion et de l’intensification de l'agriculture. Ils expliquent que ces activités « augmentent les contacts entre la faune, le bétail, les agents pathogènes et les humains ». Selon le rapport, 70 % des maladies émergentes et la quasi-totalité des pandémies connues sont des zoonoses – donc des virus d’origine animale. Il fait peu de doute actuellement que l’humanité sera frappée à l’avenir par d’autres pandémies, plus meurtrières encore.


Là où c’est plus intéressant c’est quand ces scientifiques expliquent qu’ils ont comparé d’un côté le coût que représente l’action curative contre la pandémie de Covid, et de l’autre le coût nécessaire pour traiter de façon préventive les causes des épidémies. Traiter les pandémies et les maladies émergentes à l’aide de vaccins et de médicaments est considéré par les experts comme « une voie lente, incertaine et onéreuse. 1000 milliards de dollars par année. Selon eux, l’action préventive serait 100 fois moins coûteuse, d’où le titre de l’article du Monde.


Parmi les solutions préventives, les auteurs du rapport préconisent d'intégrer les risques de pandémie dans l'étude d'impact des projets d’aménagement et d'utilisation des terres, mais aussi de mettre en place une taxation des activités à haut risque de pandémie, c’est à dire la production et la consommation de viande et d’autres denrées d’origine animale. Voilà la réalité scientifique. Ce n’est pas de l’idéologie, c’est un fait objectif : on ne serait pas en train de parler de plan de relance et stratégie de vaccination si l’humanité traitait la vie sauvage et animale autrement que comme une ressource.


Toutes ces questions, elles s’intègrent parfaitement dans une discussion budgétaire, même pour une petite région comme Bruxelles. Et elles font d’ailleurs écho à plusieurs politiques menées par le Gouvernement, avec des effets tantôt positifs, tantôt délétères.


Je commencerai par la stratégie inscrite à la mission 12, c'est-à-dire la politique en matière d’agriculture, et notamment le plan Good Food. On connaît la volonté de la Région d’amener Bruxelles à produire 30 % de la consommation annuelle bruxelloise de fruits et légumes à l’horizon 2035, dans une logique d’agriculture urbaine durable et locale. Il faut saluer l’esprit de cette intention. C’est un bon début de solution dans le cadre d’un rejet d’une forme de mondialisation du marché agricole.


Cependant, le taux de 30 % semble difficilement atteignable et assez inconciliable avec les autres politiques de la région en matière de préservation de la biodiversité et en matière de développement territorial. Mais surtout, on peut se demander si ce projet doit réellement être prioritaire et passer ainsi devant d’autres mesures alimentaires et agricoles, quand on sait que l’impact environnemental de notre alimentation dépend bien plus du contenu de l’assiette que de la distance parcourue par l’aliment.


Il serait bien moins coûteux et beaucoup plus efficace de mettre plus de moyens à la promotion d’une alimentation plus verte. Je retiens tout de même qu’en Commission, Monsieur Maron a confirmé qu’il était toujours d’actualité de rehausser quelque peu les ambitions de la stratégie Good Food, notamment dans les restaurants de collectivités. Une politique ambitieuse allant dans ce sens répondrait notamment aux demandes de la proposition de résolution qui a été adoptée dans ce parlement visant à soutenir les actions destinées à la protection de la forêt amazonienne, ainsi qu’à l’objectif inscrit dans la déclaration de politique générale de diminution des gaz à effet de serre indirectes de la Région. Cela permettrait aussi d’accompagner les citoyens bruxellois vers une meilleure santé.


Pour en revenir à la question du développement territorial, Monsieur le Ministre Président ne m’a pas tout à fait rassurée en commission. Le projet de budget prévoit en effet de faire aboutir les PAD qui ont été entamés lors de la précédente législature, et donc notamment les PAD Loi, Mediapark et Josaphat.


On comprend donc qu’on va continuer tête baissée dans des projets dont les riverains réunis en comités de quartier ne veulent pas, et alors que l’ensemble des parlementaires, majorité comme opposition, ont convenu il y a quelques semaines à peine que la procédure d’adoption des PAD présentait des lacunes en matière de consultation et d’information des citoyens, et qu’une révision du COBAT s’imposait.


Le plus grave est sans doute quand Monsieur Vervoort nous explique en résumé que bétoniser la friche Josaphat, ce n’est pas si grave parce que quand même, ce n’est pas non plus la 8ième merveille du monde. Après cela, bonne chance au gouvernement pour expliquer ensuite qu’il défend pleinement la sauvegarde de la biodiversité. Avec ce genre de projets, je ne vois pas comment on pourrait inverser la tendance qui a amené à la disparition de 14% des espaces verts de la Région en 13 ans à peine. Une discussion a encore eu lieu mercredi dernier en commission, suite à une question de Monsieur Coomans. Monsieur Maron a rappelé les avis critiques concernant le PAD Josaphat, notamment celui de la CRD, et a évoqué la conduite d’une nouvelle enquête publique. Mais toujours est-il que le projet de budget continue de qualifier Josaphat de “zone prioritaire”, ce qui est pour moi assez incompréhensible.


Bien sûr, il faut répondre à la pression démographique et au besoin en logement qu’elle impose, ce qui demande de la place. Mais j’ai le sentiment que l’on balaie assez rapidement la solution que peut représenter la lutte contre les logements inoccupés et les bureaux vacants. Ces espaces représenteraient 6,8 millions de m2 d’espaces vacants et devraient être une priorité.


De la question du logement, j’en viens à celle du sans-abrisme.


Dans sa présentation du budget de la COCOM en matière de santé et d’aide aux personnes, Monsieur Maron a rappelé que les capacités d’accueil avaient été augmentées pendant l’année 2020 pendant les mois de confinement, et que ces mesures spécifiques seraient prolongées jusqu’en juin 2021.


Monsieur Maron a également expliqué qu’une provision de 7,5 millions d’euros était prévue pour la mise en place d’une dynamique de relogement durable des sans-abris, et que cette provision s’ajoutait à une hausse de moyens pour l’aide aux personnes, dont les sans-abris.


Ce sont de très bonnes intentions, mais dans le même temps, on a pu lire dans la presse les résultats d’une enquête réalisée fin septembre à Bruxelles par la plateforme 400Toits, qui réunit une dizaine d’associations de lutte contre le sans-abrisme.


Selon cette enquête, conduite directement sur le terrain, en interrogeant des personnes sans-abri, près de la moitié de ces personnes vivent en rue depuis au moins deux ans, et au moins deux tiers ne bénéficient d’aucune source de revenu.


Les auteurs de l’étude expliquent que les résultats sont globalement identiques aux enquêtes réalisées les années précédentes. Mais ils notent tout de même plusieurs changements préoccupants, premièrement une hausse significative du nombre de femmes en situation de vulnérabilité élevée. Deuxièmement, une augmentation de la proportion de personnes qui ont dû être hospitalisées. Enfin, ils notent aussi dans le cadre de la crise sanitaire, je cite, que « la moitié des participants n’ont eu accès à aucun type d’hébergement depuis mi-mars, malgré les efforts du gouvernement bruxellois. » Ce sont des résultats qui posent question, et j’espère que le gouvernement y accordera suffisamment son attention.


Ça ne va pas vous surprendre, j’en termine avec la question du bien-être animal. Avec tout d’abord un pouce en l’air. Dans le contexte difficile que nous connaissons, je pense qu’il faut en effet saluer la hausse de budget consacrée à cette compétence, qui reçoit 1,5 million d’euros, soit 500.000 de plus que l’année dernière.


D’un point de vue comparatif, cela reste évidemment un budget rikiki par rapport à celui que reçoivent les autres compétences de la Région. Je pense d’ailleurs que le monde politique a encore un bon train de retard par rapport aux attentes de la société en matière d'éthique animale, qui est aujourd’hui une revendication sociale sérieuse. Mais on voit tout de même une volonté sérieuse d’aller dans le bon sens.


Monsieur Clerfayt nous a expliqué que sur ces 500.000 euros, 100.000 serviraient à davantage soutenir les asbl qui s’investissent sur le terrain pour aider les animaux. Je pense que c’est la meilleure nouvelle de cette mission 23. Quand on voit les bouts de ficelle avec lesquelles certaines associations doivent travailler à Bruxelles, j’espère que ces subsides pourront véritablement les aider, et surtout qu’un soin particulier sera apporté pour les informer de ces subsides.


Une autre partie de ce budget sera consacrée à la question de l’expérimentation animale. Monsieur Clerfayt connaît mon avis à ce sujet. Je demande à voir l’impact réel de cette action. Le soutien financier au développement de l’une ou l’autre méthode alternative est bien sûr une bonne chose, mais ce qu’il faut surtout, c’est une politique résolument réductionniste appliquée au niveau de l’autorisation des projets de recherche. Vous en avez justement touché un mot lors de l’examen de cette mission budgétaire en commission, mais il n’est pas clair pour moi si la région mène une telle politique, ou si elle se cantonne au vague principe des 3R, qui n’apporte pas de réelle réponse aux souffrances des animaux en laboratoire depuis les décennies qu’il est censé être en application. Mais c’est une question sur laquelle on aura l’occasion de revenir en commission.


Toujours concernant le budget bien-être animal, j’ai aussi une grosse déception. Je pense que depuis le début de la législature, pratiquement tous les groupes politiques ont interrogé le Gouvernement sur la question de la maltraitance animale. Il me semble que majorité comme opposition, tout le monde a admis que la lutte contre la maltraitance mériterait des moyens plus substantiels. On connaît l’étendue des lieux qu’est censé contrôler le service d’inspection de Bruxelles Environnement. Ce sont les laboratoires, les marchés, les animaleries, les fermes pédagogiques, les refuges, l’abattoir d’Anderlecht, les élevages, les cirques, mais aussi les particuliers en cas de suspicion. Et pourtant, il n’est prévu de recruter qu’un seul inspecteur supplémentaire. Quand ce sera le cas, ils ne seront qu’au nombre de quatre dans la cellule bien-être animal de Bruxelles Environnement. Tout le monde – et Monsieur Clerfayt y compris – s’accorde à dire que c’est insuffisant. On ne répond pas aux besoins de cet enjeu.


Pour le reste, je ne vais pas répéter ce que j’ai déjà dit en Commission. J’encourage simplement le Gouvernement à mener les projets qui sont attendus depuis un certain temps, et qui, pour beaucoup, ne pèseraient rien ou pratiquement rien dans le budget de la Région. Je pense par exemple à la conversion en loi des nombreux avis déjà rendus par le Conseil bruxellois pour le bien-être animal.


Mais aussi, et ce sera ma conclusion : il ne vous aura pas échappé que la Cour de Justice de l’Union européenne a rendu ce matin son arrêt concernant les décrets wallon et flamand qui interdisent l’abattage sans étourdissement. Cet arrêt confirme la légalité de ces décrets adoptés dans les deux parlements, d’ailleurs à une quasi unanimité en Wallonie. Jusqu’ici, le Gouvernement bruxellois expliquait régulièrement qu’il attendait la conclusion de la Cour avant de se positionner. S’il prend la question du bien-être animal au sérieux, je pense qu’on est en droit d’attendre du Gouvernement qu’il se mette maintenant en conformité avec les deux autres Régions en adoptant l’obligation d’étourdir les animaux avant chaque abattage.

Photo : Trougnouf (Benoit Brummer), CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons


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